Des décorations de Noël aux filets de camouflage

La guerre : face à l’impensable, comment chacun d’entre nous réagirait-il ? Et si nous avons un membre de notre famille ou un ami proche en situation de handicap intellectuel pour qui il est indispensable de vivre selon une routine prévisible, que se passerait-il ? Quelle aide pourrions-nous espérer ? D’où viendrait-elle ?  

En tant que responsable de la communauté de L’Arche à Lviv, en Ukraine, Lesya Larikova a dû trouver des réponses à ces questions difficiles au cours de ces deux dernières années, depuis l’invasion à grande échelle de son pays le 24 février 2022.  

« Jusqu’au tout dernier jour avant l’invasion, la vie dans notre communauté était plus ou moins normale. Nos quatre ateliers fonctionnaient comme d’habitude… réunions d’équipe, assurer les transports quotidiens… célébrer les anniversaires, toutes les choses habituelles. Et puis soudain, notre pays était en guerre. »  

Lesya et Bogdan de L'Arche Kovcheh à Lviv, Ukraine.

Et puis, pour tous les Ukrainiens, la guerre a bouleversé la normalité. Très vite, un des ateliers de L’Arche a été sollicité par l’armée ; à la place de jolies décorations de Noël confectionnées par les personnes avec et sans handicap intellectuel, des filets de camouflage ont commencé à sortir de la chaine de production. En plus, certains assistants ont reçu leur convocation pour la formation militaire ; d’autres, aux côtés de leurs familles dans l’angoisse, sont devenues des réfugiés. L’inflation a explosé. Et certains biens quotidiens essentiels sont devenus impossibles à obtenir, à n’importe quel prix. La vie quotidienne normale ? Disparue. 

Lesya se souvient : « Le transport des membres de notre communauté de leur domicile aux ateliers est essentiel. Nous avons eu de la chance que notre minibus ne soit pas confisqué pour le service de guerre. » 

Chaque perte, ou menace de perte, provoquait une nouvelle vague d’incertitude. La menace constante compromettait la paix intérieure de chaque personne : « Si nous avions perdu cela… »  

À Ternopil, à quelques heures au sud-est, l’autre communauté de L’Arche en Ukraine a fait face aux mêmes défis. « Nous savions tous à quelle menace existentielle notre pays était confronté : si la Russie arrêtait le combat, la guerre prendrait fin ; mais si l’Ukraine arrêtait le combat, alors, ce serait la fin de l’Ukraine. » 

L’Ukraine n’est pas le seul pays dans lequel des conflits récents ont bouleversé la vie quotidienne des membres de L’Arche, avec et sans handicap intellectuel. L’Arche à Bethléhem, Ma’an lil-Hayat, fait aussi de son mieux pour maintenir le rythme de sa vie communautaire dans un climat de grande insécurité. Mahera Ghareeb, responsable de la communauté, nous explique : 

« Cette guerre représente un danger réel pour les personnes que nous accueillons : si certaines d’entre elles sont obligées de rester chez elles, elles ne restent pas à l’intérieur, elles courent librement dans les rues. Pour celles qui vivent à proximité des colonies israéliennes, c’est très risqué. Et leur handicap n’est pas toujours visible. Il y a des soldats israéliens : une personne pourrait se faire tirer dessus, être arrêtée, ou battue. » 

Il n’y a pas si longtemps, la Syrie a également connu une période de guerre civile, et avant cela, la Côte d’Ivoire, deux pays où L’Arche est présente ; alors, la question demeure : comment s’assurer que les personnes vulnérables soient en sécurité ? Comment continuer à vivre en tant que communauté ? 

Shukri Anwar Murra, une personne en situation de handicap intellectuel membre de Ma’an lil-Hayat, nous indique la direction : « ça fait peur la guerre. J’adore venir à Ma’an lil-Hayat tous les jours, pour qu’on soit ensemble. À Noël, on a déjeuné et échangé des cadeaux. J’étais heureuse. » 

Shukri à l'atelier de l'Arche Lil Ma'an Hayat

En un mot : la sécurité, c’est « être ensemble ». Faire partie d’un cercle plus large, être connu, et aimé. Savoir que vous manquez aux autres si vous n’êtes pas là. C’est le moyen le plus sûr d’être en sécurité et ‘heureux’ en période de crise nationale. C’est pour cela que Mahera, Lesya et leurs équipes ont fait tout ce qu’elles ont pu pour que les ateliers de L’Arche restent ouverts, pour donner à leurs membres la sécurité de la routine quotidienne, et le soutien que seule la connexion avec nos amis nous donne. Face au chaos imprévisible de la guerre, une dose de normalité, même infime, peut vraiment aider : comme un rempart contre le traumatisme, qui menace sans cesse de submerger la paix intérieure de chaque personne. « Venir à l’atelier procure aux personnes accueillies un lieu sûr. » nous rappelle Mahera. 

Si les personnes vulnérables ont besoin de cercles de soutien pour continuer à avancer, il en va de même pour les communautés vulnérables. En s’appuyant sur son expérience, L’Arche a immédiatement mis en place des équipes de soutien d’urgence pour l’Ukraine et la Palestine. Mahera explique quelle différence cela produit : « La campagne de solidarité que L’Arche a lancée ne nous a pas seulement aidés financièrement, mais aussi émotionnellement et psychologiquement ; de sentir que nous ne sommes pas seuls, que nous faisons partie de cette grande famille, cela nous a tous poussés à continuer, continuer à avancer. » Il ne faut pas sous-estimer non plus la valeur de la prière partagée : depuis février 2022, les membres de L’Arche en Ukraine, avec les membres de Foi et Lumière, animent un temps de prière sur Zoom deux fois par semaine, où ils sont rejoints régulièrement par un grand nombre de participants de partout dans le monde. Chacun de ces petits signes de solidarité prouvent que Shukri et Mahera ont raison : qu’on soit ou non en situation de handicap, la meilleure façon de surmonter une catastrophe, c’est d’être ensemble.    

Dans cet esprit, la maison d’accueil temporaire de la communauté de Lviv a hébergé deux familles déplacées qui comptent parmi leurs membres une personne en situation de handicap. De même, les communautés de L’Arche en Lituanie, Pologne, République Tchèque, France et Écosse ont ouvert leurs portes à des familles de réfugiés Ukrainiens, en donnant priorité autant que possible à celles impactées par le handicap. 

Partout où la guerre éclate dans le monde, il est bien connu qu’une personne en situation de handicap intellectuel est confrontée à des risques exceptionnels de préjudice physique et psychologique, un fait reconnu dans l’Article 11 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. 

Comment est-ce possible ? C’est choquant, mais une personne en situation de handicap peut tout simplement être ‘oubliée’. Abandonnée par le personnel des institutions en fuite, et également par les membres de sa famille qui ont peur et se sentent dépassés, la personne qui est perçue comme étant plus faible ou plus lente est parfois livrée à elle-même : sans médicaments, sans nourriture, sans comprendre le chaos environnant, ni les ordres criés par le personnel militaire. Dans la tension extrême que provoque la guerre, des réactions inattendues ne sont pas les bienvenues… 

En tant qu’organisation internationale qui promeut la construction de réseaux entre les personnes, L’Arche est convaincue que les personnes en situation de handicap ne sont ni un fardeau, ni un problème, mais qu’elles font partie de la solution. Encore et toujours, en période de conflit, les communautés ont vu la façon dont un de leurs membres en situation de handicap peut apporter une contribution qui aide les autres à mieux faire face. Un exemple : N’Da, un membre en situation de handicap de L’Arche à Bouaké, en Côte d’Ivoire, inspirait tout son entourage par son courage pendant la guerre. (Voir #JeSuisCommeJeSuis Documentaire | L’histoire de N’Da |Beyond the Wall | Épisode 7)    

N’Da avait de la chance. Son surnom, ‘le Colonel’, traduit bien son talent de leadership, très apprécié par les autres membres de sa communauté. Alors, quand la tempête de la guerre a éclaté en Côte d’Ivoire, le Colonel pouvait compter sur ces relations d’appartenance profondément enracinées.  

L’expérience montre que de conflit en conflit, ces cercles d’appartenance – au niveau local, national et international – peuvent faire toute la différence pour les hommes et femmes en situation de handicap intellectuel. Mais quand ces cercles ne sont pas déjà en place avant que la guerre éclate, il est presque toujours trop tard. La résilience en temps de guerre n’est pas une question de trouver une solution rapide à court-terme. Ce qui compte vraiment, c’est d’avoir un lieu d’appartenance préétabli : les réseaux qui promeuvent la dignité humaine en temps de paix veillent à ce que, en cas de guerre, personne – avec ou sans handicap – ne soit ‘oublié’. 

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