Ouvrir nos portes, en période de guerre

L’Arche Lviv en quelques chiffres : 

  • 1 foyer d’accueil temporaire, 4 ateliers en externat et 1 accueil de jour  
  • 65 membres de communauté, dont 50 membres en situation de handicap intellectuel   
  • 2 familles de réfugiés comptant des membres en situation de handicap, sont accueillies et accompagnées dans le foyer d’accueil temporaire de la communauté. 

La plus belle ville au monde. C’est comme ça que ses habitants en parlaient souvent,’ raconte Liudmila Fedas. Depuis mars 2023 Liudmila vit dans le foyer d’accueil temporaire de L’Arche à Lviv, avec son fils Dmytro, qui est porteur d’un handicap intellectuel. Tous deux font partie des personnes réfugiées, et elle parle de sa belle ville d’origine, Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine, telle qu’elle était avant d’être touchée par la guerre, en mai 2022 : ‘Une petite ville de 85 000 habitants. Mais elle était si belle, avec des fleurs partout, surtout des roses. Elle comptait 17 écoles, 39 écoles maternelles.’ Comme toutes les villes du monde, Bakhmout n’était sans doute pas parfaite, mais c’était un lieu où il faisait bon vivre et où l’on pouvait espérer réaliser ses rêves. Comme de nombreuses villes partout dans le monde, jusqu’à ce que… 

 

Nadia se tient derrière Dmetro et sa mère Luda au foyer de L’Arche à Lviv, en Ukraine, tandis que sa fille Alina est assise avec la directrice du foyer, Olesia.

 

Le 17 mai 2022 le premier obus est tombé sur Bakhmout. Parmi les cinq victimes, on compte un enfant de deux ans. Dans les mois qui ont suivi, les obus ont continué à tomber sur la ville, sans viser de lieux en particulier, semant la terreur dans toutes les familles. Un an plus tard, en mai 2023, le président Zelenskyy décrivait la “plus belle ville au monde de Liudmila” en disant : ’Il n’y a plus d’immeubles. A ce jour, Bakhmout n’existe plus que dans nos cœurs. Il n’y a plus rien là-bas’. Tragique, mais vrai. Les reportages évoquaient souvent le front de Bakhmout comme un ‘hachoir à viande’. Voici comment Liudmila et Dmytro ont réussi à échapper au ‘hachoir à viande’ pour trouver refuge, chaleur et accueil à L’Arche à Lviv.    

Dmytro, âgé de 38 ans, fait partie des 261 000 personnes avec un handicap recensées en Ukraine. D’après des chiffres transmis par deux ONG basées à Bruxelles (‘Forum Européen des Personnes Handicapées’ et ‘Inclusion Europe’) on estime qu’environ 2,7 millions de personnes en Ukraine sont en situation de handicap. Ces chiffres datent d’avant la guerre. L’article 11 de La ‘Convention relative aux droits des personnes handicapées’ rappelle qu’une personne avec un handicap, quel qu’il soit, sera toujours affectée de manière disproportionnée par les guerres et les catastrophes naturelles. Nous savons bien que les personnes avec un handicap font face à des difficultés spécifiques, telles que l’accès à l’information et à une prise en charge équivalente dans la réponse aux crises. Liudmila a vécu avec deux personnes en situation de handicap : en plus de Dmytro, son mari avait été sévèrement affecté par les conséquences d’un AVC. Pendant de nombreuses années, Liudmila a enseigné dans une école près de chez eux, et Dmytro aimait alors retrouver ses amis à la paroisse.   

Lorsque les frappes sur Bakhmout ont commencé, Liudmila a compris d’instinct qu’il fallait trouver un lieu où ils seraient en sécurité : plus de 80% des habitants étaient déjà partis, d’après les chiffres de la municipalité. Et comme c’est souvent le cas, ceux qui restaient étaient généralement âgés, malades ou en situation de handicap. Autrement dit, les personnes qui n’avaient pratiquement pas d’autre option que de rester, en espérant envers et contre tout, qu’arrivent des jours meilleurs.  

 “Quand la guerre a éclaté, j’étais déjà prête à partir. Nous pressentions qu’il nous faudrait partir …” Mais il n’était pas simple d’élaborer un plan puis de le mettre en œuvre, au point de vue de la logistique mais également au niveau moral : il faut de l’argent, des contacts, des moyens de transport, un lieu où aller. Et puis, comme le dit Liudmila, c’est arrivé. Personne ne pensait, ne pouvait imaginer dans ses pires cauchemars, que cela se produirait… mais, mais, mais… c’est arrivé. »  

Ce qu’évoque Liudmila, c’est une explosion près de leur maison. Malheureusement Dmytro se trouvait dehors, et il a été blessé par le souffle. Liudmyla nous raconte : « son pantalon de survêtement était mis à sécher devant la maison. Il est sorti pour le décrocher, et voilà. Une explosion.” Dmytro montre les cicatrices sur ses jambes et son dos.  

Dmetro avec sa mère Luda au foyer de L’Arche à Lviv, Ukraine. Originaire de Bachmut, Dmetro a été touché par des éclats d’une bombe alors qu’il sortait retirer des vêtements de l’étendoir pendant l’attaque de la ville, le 29 septembre 2022.
Dmetro a subi 11 opérations chirurgicales depuis sa blessure et a passé 7 mois à l’hôpital et 2 mois en rééducation avant d’emménager dans le foyer de L’Arche à Lviv en mars 2023.

 

D’hôpital en hôpital, à Konstantynivka, puis Dnipro, il s’est finalement retrouvé à Lviv. Un pied était blessé à un orteil. L’autre était bien plus sérieusement atteint : ‘Sa jambe ne tenait plus que par la peau. Ils l’ont rassemblée et ‘recollée’. Il y a eu 9 opérations chirurgicales en 9 mois, dont une qui a duré 16 heures. Et comme cela n’allait toujours pas, il y en a eu une autre, de 5 heures, et puis d’autres, de 3 à 4 heures à chaque fois. » Et d’autres allaient suivre.    

Les fractures de Dmytro sont complexes, et il faudra beaucoup de talent médical pour qu’il puisse marcher à nouveau seul. Pour Liudmila, il était indispensable de trouver un hébergement à proximité d’un hôpital. Elle disait : « Je ne me suis jamais disputée avec qui que ce soit, mais là je ne bougerai pas. Si vous me chassez de l’hôpital, je resterai assise là. Et peut-être quelqu’un nous accueillera dans sa maison. »  

Après avoir longtemps cherché, les travailleurs sociaux qui les accompagnaient les ont mis en contact avec L’Arche à Lviv. Ils sont venus voir une première fois. Le foyer d’accueil temporaire était aménagé pour recevoir des personnes en fauteuil roulant, et avait permis d’héberger des réfugiés depuis le début de la guerre. Heureusement, l’hôpital était tout proche. Dmytro a tout de suite été d’accord : ‘maman… c’est tellement bien ici.’ Ils avaient fini par arriver en lieu sûr.   

La vie n’est pas qu’une question de survie : survivre pour quoi faire, après tout ? En réponse à cette question, la communauté à Lviv – comme toutes les communautés de L’Arche dans le monde- sait que les temps de fête et de célébration doivent faire partie de la réponse. Peu importe ce qui se passe, l’anniversaire de chaque personne est fêté avec joie, chaleur, avec des chansons, des cadeaux, un gâteau et des bougies : un moment heureux de solidarité partagée, loin des horreurs de la guerre. En avril c’était l’anniversaire de Dmytro: à son tour il a entendu la joie de tous qui se réjouissent de sa présence, vécue comme un vrai cadeau pour la communauté: alors qu’il a traversé des moments si durs, son sourire apporte de l’espoir aux autres dans les moments difficiles. ‘Les filles lui ont chanté de si beaux chants’ raconte Liudmila. ‘Il était très heureux. C’était très important pour Dmytro.’  

Personne ne sait combien de temps la guerre va durer. Liudmila termine par ces mots : ‘Pour le moment nous vivons au paradis. Vraiment.’   

 

Dmetro parle avec l’aumônier de L’Arche, le père Jan Bourga, dans la chambre qu’il partage avec sa mère Luda au foyer de L’Arche à Lviv, en Ukraine.

 

Crédits photos: Gregg Brekke

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