Edita: Ma vie, ma voix.

Que faut-il pour mettre fin à la discrimination légale systémique ? Changer la façon de penser des gens depuis des décennies et même plus ? Un savoir-faire juridique ? Oui, mais ce n’est pas tout. Le soutien d’amis ? Oui, mais plus encore. La colère face à l’injustice ? Oui, tout cela est nécessaire, sans aucun doute. Mais si on veut vraiment que les choses changent, alors, au cœur de tout cela, il faut qu’une personne ait le courage de se lever et de proclamer « Plus jamais victime. Je refuse d’endurer cette injustice plus longtemps. Je vais faire changer ce système. »

Il faut du courage à quelqu’un pour résister, mais en particulier lorsque cela signifie surmonter une certaine timidité et une modestie naturelle. En Lituanie, Edita Daugėlaitė, une jeune lituanienne courageuse et talentueuse, originaire de la ville de Kaunas, l’a fait. Voici l’histoire d’Edita, qui est devenue actrice du changement social et qui a encouragé d’autres Lituaniens ayant un handicap à suivre le mouvement.

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Comme de nombreux jeunes, Edita est arrivée à un moment de sa vie où elle devait quitter son foyer. Lorsque des amis lui ont parlé de L’Arche à Kaunas, en 2017, elle a décidé de tenter sa chance. L’Arche est une communauté composée d’un groupe de personnes diverses, certaines avec un handicap, et d’autres sans. La vie communautaire consiste à découvrir que lorsque chaque personne, sans exception, est encouragée à partager ses talents personnels et uniques, tout le monde en bénéficie.

Qu’en est-il des talents d’Edita ? Avec un large sourire, elle répond : « J’aime la céramique et le travail en plein air. J’aime acheter des vêtements, des robes, des pantalons, des jupes, des chemisiers et bien m’habiller. J’aime beaucoup voir mes amis. Et autre chose, j’aime vraiment bien me vernir les ongles ! » Vous imaginez rapidement une jeune femme intelligente qui sait ce qu’elle aime et ce qu’elle n’aime pas, quelqu’un qui se définit clairement par ce qu’elle sait faire, et pas par ce qu’elle trouve difficile.

 

Ceramic workshop at L'Arche Kaunas, Lithuania

Atelier de céramique

 

C’est sa confiance de plus en plus grande en ses propres capacités qui ont conduit le responsable de la communauté, Gedas Malinauskas, à soulever une question toute simple : « Je suis peut-être le tuteur d’Edita, mais si elle a tant de capacités, pourquoi est-ce que je suis la personne qui prend les grandes décisions pour elle, alors qu’elle pourrait, avec du soutien, prendre ces décisions elle-même ? Qu’est-ce qui empêche cela ? »

La réponse : une loi restrictive datant de l’époque soviétique. En réalité, cette loi ancienne était toujours en vigueur et empêchait une personne ayant un handicap de prendre la responsabilité de décider de sa propre vie. Du point de vue d’Edita, « c’était triste. Je n’avais pas l’autorisation de compter mon argent moi-même. Je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais pas voter… »

Mais comment lutter contre une loi à contre-courant du nouvel esprit positif et encourageant  qui règne dans la société lituanienne ? Avec l’appui d’Edita, en 2019, Gedas Malinauskas a porté l’affaire devant les tribunaux. Cependant, le juge a attaché une grande importance au rapport psychiatrique d’Edita et a par conséquent refusé de lui reconnaître sa capacité juridique. En colère face à l’injustice de cette décision, un an plus tard, ils ont fait appel. Résultat : décision confirmée.

Mais, nullement découragés par ce revers, Edita et Gedas ont changé de stratégie. Ils ont réuni une équipe de campagne beaucoup plus solide : Saulius Dambrauskas, avocat spécialisé dans la défense des droits humains, Indrė Jaugėlaitė, spécialiste du soutien à la prise de décisions et le professeur Jonas Ruškus, membre du conseil d’administration de L’Arche, qui a siégé au Comité des Nations Unies sur la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Chacun allait jouer un rôle essentiel pour renverser la décision. Le processus a été difficile. Soutenue par Indre, Edita a décidé « c’est mon année de courage ». Des encouragements quotidiens provenaient de l’ensemble de la communauté, en particulier de la part de son amie proche, Urtė Gardauskaitė, assistante à L’Arche.

Mais il n’est jamais facile de faire changer une attitude juridique ancrée, comme l’explique Jonas Ruškus: « lorsqu’il s’agit de personnes ayant un handicap, tout ce qui les concerne est examiné du point de vue médical. C’est très difficile. » Saulius Dambrauskas souligne à quel point cette attitude négative a imprégné le système d’examen lui-même : « On a posé à Edita toutes sortes de questions, notamment sur l’économie et sa perception de la politique ! » Sans surprise, ces questions lourdes étaient destinées à mettre Edita en difficulté : « J’étais un peu perdue… Le juge ne comprenait pas vraiment ce que je disais. »

Au cours du processus final, le juge a eu connaissance des obligations de la Lituanie en tant qu’Etat partie de la Convention de l’ONU, en particulier concernant l’égalité devant la loi, la capacité juridique et l’accompagnement à la prise de décisions pour toutes les personnes ayant un handicap. Enfin, le jugement a été rendu : « le handicap ne doit pas être utilisé pour justifier la privation de la capacité juridique ».

C’était une très belle journée. Edita a célébré sa victoire en organisant une fête, en s’assurant que chacun de ses soutiens ait un cadeau : « Je suis heureuse d’être devenue active : Je peux compter l’argent, je peux marcher seule. Je peux voter. » Même le ministre de la Sécurité sociale est venu la féliciter. Edita, la femme timide et modeste au grand courage, a été actrice du changement juridique et social.

Edita from L'Arche Kaunas

Edita devant le tribunal du District de Kaunas

Jonas Ruškus salue cette décision marquante : « C’est une avancée. Enfin, il se passe quelque chose. Une personne a apporté un changement structurel, et j’ai vu à quel point cela a été libérateur pour Edita : elle a commencé à dire « Je veux aller travailler. Je veux intégrer la société. Soudain, ses préférences, son imagination et ses aspirations se sont développées. »

Mais la victoire juridique d’Edita a un sens plus large. Le professeur Ruškus poursuit : Le cas d’Edita fait jurisprudence, et le Forum lituanien sur le handicap l’utilisera pour libérer d’autres personnes ayant un handicap. » Et les choses bougent désormais rapidement en ce sens : le ministère en charge du handicap a demandé à Saulius Dambrauskas d’apporter son aide dans ce type d’affaires et les requêtes commencent à arriver.

Il existe potentiellement beaucoup autres « Edita ». Alors que les statistiques sur les personnes ayant un handicap ne sont pas centralisées en Lituanie, la recherche mondiale suggère qu’en moyenne, une population donnée comprend entre 1 et 3 % de personnes ayant une forme de déficience intellectuelle. En Lituanie donc, (population totale : 2,7 millions), ceci voudrait dire entre 27 000 et 81 000 adultes et enfants concernés.

Chaque jour désormais, Edita profite pleinement de sa nouvelle compétence. Mais une journée surpasse toutes les autres : le mariage de ses amis, Karina Lazauskienė et Aidas Lazauskas :  La compétence juridique d’Edita a heureusement été reconnue à temps pour qu’elle puisse signer le registre en tant que témoin officiel. Une autre première !

Félicitations à toute l’équipe, mais en particulier à Edita Daugėlaitė, témoin pour vos amis et actrice du changement pour votre société !

 

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